Poutre Pex Pouille (PPP)

Bonjour amis lecteurs,

Ce long billet sur le vieux blog de PPP, qui a bien pris la poussière depuis deux ans (déjà), fait suite à l’initiative d’Alias, truculent auteur de Tigres Volants, de récolter des témoignages sur les histoires et les mœurs de chacun et chacune dans la pratique du Jeu de Rôle.

Pour plus d’informations, je vous invite à consulter le tumblr qui lui est dédié (http://moiroliste.tumblr.com/) ou aller faire un tour sur la page facebook, ou plutôt sur l’évènement qu’il a organisé (https://www.facebook.com/events/314488668631057/).

Je passerais rapidement sur l’origine de l’initiative, tant elle ne demande pas vraiment de réponse. Elle fait face à un article récemment publié sur un site catholique, qui nous fait passer pour d’affreux personnages, invocateurs de démons, déconnectés de la réalité, maléfiques, pêcheurs, asociaux, amoraux, dangereux pour nos enfants et pour la société. En bref englouti par les ténèbres de Satan et de ses sbires. Il suffirait de lire PPP, d’en prendre tout au 1er degré, de voir des blasphèmes de chaque strip, des joueurs déjantés et bien d’autres joyeusetés totalement opposées à la pratique de la religion. En tout cas de leur pratique de la religion. Cela ne ferait que donner de l’eau à leur moulin, et je trouve qu’ils en ont bien assez. Je ne suis pas assez croyant pour avoir une quelconque crédibilité. Si encore j’avais été chrétien, ou même catholique, j’aurais pu me permettre de répondre. Mais profondément athée, voir même anticlérical, je ne peux comprendre les craintes de l’auteur et de ses souscripteurs. Et comme j’ai tendance à défier toute absurdité (à mes yeux, ce n’est donc pas très objectif comme définition de l’absurdité) par l’absurde, j’aurais même tendance à me faire passer plus psychopathe, démoniste et dérangé que je ne le suis. De plus je trouve qu’il s’agit d’une frange de la population chrétienne, extrémiste et déconnectée, des caricatures de Le Quesnoy. Leur vérité est la vérité. C’est gravé. Et toute tentative de remise en doute ne serait qu’une tentation du Mal. Peine perdue.
Ceci dit, pour quelqu’un qui ne voulait pas répondre, je trouve mon paragraphe bien volumineux. Peu importe : sujet clos.

Revenons au plus important : le sujet de l’évènement « Moi rôliste ». L’énoncé est : « Avant, vous étiez petit, moche et bête et le jeu de rôle a changé votre vie? Exprimez-vous! ».
A vos claviers, vous avez trois heures.

Chose peu coutume sur PPP, et d’avantage sur facebook, je vais parler de moi.
Mon approche du JDR s’est faite par la littérature. Mais la « vieille » littérature. Pas d’Eddings et de Tolkien avant ma majorité. Jeune garçon, j’ai englouti la quasi-totalité des Jules Verne, lu à la lumière d’une lampe de poche jusqu’au lever du jour des pavés comme les Rois Maudits, et dans la foulée Le Nom de la Rose ou les Trois Mousquetaires pour ne citer que les plus marquants.
J’ai bien fait quelques tentatives de Livre dont vous êtes le héro, empruntés à la bibliothèque Municipale. Loup Solitaire bien souvent. Mais je trouvais la narration trop dirigiste. Et surtout mon héro finissait invariablement par mourir : je n’ai jamais pu en finir un seul.
J’ai été marqué profondément à 11 ans par la pratique d’un jeu de plateau qu’un camarade de classe m’avait fait découvrir : Heroquest. Les plus anciens se rappelleront de ce jeu de plateau métamorphosable, ou l’on pouvait interpréter au choix Barbare, Nain, Elfe ou Ensorceleur (voir la couverture :http://www.tikoweb.fr/medias/old-school/heroquest-jeu-societe.jpg). Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris qu’il était tiré de Warhammer, et que j’avais donc ce jour-là mis un bon pied dans le JDR. Cette initiation fut pour moi un déclic. A peine 2 ans plus tard, quand au hasard de Toys’r’Us, j’aperçu une boite noire flanquée d’un magnifique Dragon Rouge attaquant un guerrier muni d’une hache : Dongeons&Dragons ! Je la demandais immédiatement pour Noel. Combien de fois ai-je joué le Donjon de Zanzer Tem, en solo via les fiches d’initiation, ou avec mes deux sœurs que j’avais embauché « de force » pour jouer les personnages du jeu : elfe, nain, clerc, guerrier, halfling, voleur et magicien. Mais je jouais encore à la manière de Heroquest : des pions sur un plateau de jeu, qui récupéraient des objets pour atteindre le « boss final », au niveau 2, voir 3 en trichant pas mal. Je n’avais pas encore appréhendé le Rôle du Jeu de Rôle . Et j’ai du attendre 3 ans, et être témoin d’une campagne d’Ambre au club de Jeu de Rôle du lycée pour comprendre ce que mon bouquin voulait dire par Jeu de Rôle. Par la suite, j’ai intensifié ma pratique : les cours de philosophie m’ont servi à initier 3 camarades au JDR, et moi à la « masterisation ». Nos dés roulaient dans les cahiers vides pour faire moins de bruit, je chuchotais les évènements, et les batailles les plus épiques se jouaient pendant les pauses. A la faculté, j’ai rencontré d’autres joueurs, d’autres MJ. J’ai découvert des dizaines de jeux, et autant de mondes merveilleux, tous plus colorés et variés les uns que les autres. J’attendais les parties avec impatience, me demandant comment mon personnage allait survivre à la situation dans laquelle il s’était mis, ou comment j’allais rebondir pour étonner mes joueurs. Quelques années de pratique très intensives mais j’y reviendrais plus tard.
Puis j’ai eu un emploi, j’ai rencontré quelqu’un avec qui j’ai eu des enfants. Et ma pratique s’est raréfiée. Et pourtant, même si ce n’est qu’une fois tous les trimestres comme une fois tous les quinze jours, je n’ai jamais arrêté. Jamais pu, jamais voulu. C’est mon moment d’évasion, ma bouffée d’oxygène. Les responsabilités, la société, le compte en banque, le boulot, l’éducation des enfants, tout cela me ronge, me fatigue. J’accumule. Même en vacances je ne peux me détendre vraiment : il y a les enfants à surveiller, le budget à respecter, les collègues qui appellent pour retrouver un dossier. Et puis, il y a enfin ces quelques heures d’évasion : ma partie de JDR. Quelques petites heures où je n’ai plus rien de tout cela en tête. Je suis un autre, je suis mon personnage. Il lui arrive des choses extraordinaires, parfois heureuses, parfois tragiques, mais jamais communes. Il vit dans un univers qui n’est pas le nôtre, même si pour certains jeux type contemporains, on s’en rapproche. Et cet univers, il faut l’explorer, le parcourir, respirer ses parfums, gouter ses plats. L’imaginaire et le fantastique prend le relais quelques heures. Et je reviens chez moi apaisé, aéré, revigoré, prêt à reprendre mon quotidien avec une bien meilleure humeur et un plus grand enthousiasme. Comme si j’avais quitté tout cela pendant plusieurs jours.
Le jeu de rôle est pour moi un moment nécessaire à mon équilibre mental. Sans, je fini par étouffer, écrasé par le quotidien. C’est une soupape de sécurité et je ne me vois pas vivre sans.

Pour la petite anecdote, je suis allé voir un jour un psychologue pour des problèmes personnels. Quand je lui ai dit que j’étais roliste, ses premiers mots ont été de me supplier d’arrêter immédiatement avant que je ne finisse schizophrène ou assassin, voir les deux en même temps. Je ne l’ai jamais revu. Non je ne me voyais pas me passer de ce loisir. « Faites plutôt du sport, c’est plus sain pour le corps et l’esprit » qu’il m’a dit. Mais je ne sais même pas comment font les autres pour s’aérer l’esprit : que faire pendant une heure de jogging sinon de réfléchir à ses soucis.

Alors oui, je l’ai pratiqué intensément par le passé. A la Fac et pendant 2 ans. Parfois une bonne cinquantaine d’heures dans la semaine. La mort d’un personnage m’importait plus qu’une mauvaise note. Je préférais ces mondes ou j’arrivais à faire quelque chose plutôt que la réalité ou j’étais incapable de réussir. Je pouvais y être un héro alors que je n’étais en fait qu’un anonyme parmi des milliards de concitoyens. C’était un peu trop, je suis allé trop loin, j’ai été déconnecté, je l’avoue. Mais bon, ce n’est pas comme si j’avais été drogué au point de devoir suivre une cure médicale en institut pour me désintoxiquer. J’ai fini par arrêter de vivre ainsi. C’est quand j’ai rencontré mon actuelle épouse que j’ai préféré les sorties en amoureux plutôt que les soirées de JDR. Une question de préférence… Je ne veux pas dire que j’ai été sauvé. Comme je suis quelqu’un de passionné, je me suis investi pleinement dans ma relation, diminuant de moi-même, sans aucun remord, ma pratique intensive du jeu de rôle. La transition s’est bien passée, et je ne la regrette pas. Et la suite je l’ai déjà racontée : boulot, enfants, tout ça. Avec le recul je me dis que ma pratique n’a pas été intensive à cause d’un effet de dépendance, mais bien parce que j’avais rien d’autre à faire.

Et sur mon caractère, quels ont été les effets ? Comme beaucoup, la pratique du jeu de rôle m’a permis de me sociabiliser. Enfant plutôt solitaire, voir asocial et très timide, j’ai acquis en confiance. Je me mets en avant, je prends des initiatives, j’aime discuter. Quand on est maitre du jeu et qu’on a un public de deux à dix acteurs, attendant l’amorce de l’intrigue pour initier leur jeu de scène, la rencontre avec un interlocuteur atypique, le combat contre une Némésis, attendant des surprises qui feront de leur soirée un moment inoubliable (ou du moins jusqu’à la prochaine), il faut ravaler ses doutes et sa timidité, devenir autoritaire tout en restant à l’écoute. Quel apprentissage !
Les soirées sont le moment de convivialité et de partage. Il n’y a pas que le jeu, mais des échanges sur des sujets variés, de sciences, d’Histoire, de littérature, de théologie, d’Us et Coutumes, de géopolitique et bien d’autres thèmes que nous abordons de par la thématique du jeu auquel nous jouons, tout comme parfois initiées par le fil d’une conversation hors-jeu (HRP). J’y rencontre des gens que je n’approcherais pas de par ma catégorie sociale, de mon métier, de mes convictions politiques ou religieuses. Ces rencontres m’enrichissent. Certains resteront des amis, d’autres pas. Peu importe : nous avons tous passé un bon moment à échanger, et à nous mettre en scène dans des rôles passionnants. Ca parait idéaliste comme peinture. Ca ne rend pas parfait. Je suis quand même toujours un peu butté, bourré de préjugés, fermé à certaines pensées, mais je pense que je le serais bien pire si je n’avais pas joué.
En fait, avant, j’étais petit, moche et bête et le jeu de rôle a changé ma vie : je suis toujours petit moche et bête, mais je le vis très bien.

Je ferais une petite parenthèse sur un aspect peu publié dans les différents témoignages : ses proches et leur perception de notre loisir.
Il y’a eu mes parents au tout départ. Ils sont acceptés de m’offrir cette boite d’initiation à Noël sans savoir ce que c’était. Puis ils ont vu. Et même quand plus tard il y a eu Mireille Dumas, ces émissions sur le jdr et ses pratiques soit disant malsaines, ces films comme « Jeu de Rôles » ou « Mazes and Monsters », ils n’ont pas paniqué. Ils nous savaient sains d’esprits. Imaginatifs, parfois étranges, parfois loufoques, mais jamais dérangés. Aucun n’a voulu me retirer ce loisir et brûler les livres. J’ai redemandé dernièrement à ma génitrice les souvenirs qu’elle en avait. Sa seule crainte fut de me voir déconnecté de la réalité pendant deux semaines chaque été : il s’agissait de mes LAN avec mes copains de lycée. Oh oui, on était complètement déconnectés : jeux vidéos à gogo pendant deux semaines, sans avoir plus aucune notion de jour et de nuit, à manger des marmites de pates trop cuites, à dormir dans des sacs de couchage au pied de nos ordinateurs, à avoir une hygiène réduite à son stricte minimum. C’était une déconnection totalement voulue. Mais il n’y avait aucun rapport avec le Jeu de Rôle, en fait.
Ma grand-mère, pourtant Témoins de Jéhovah, a bien essayé de me mettre en garde contre le JDR (merci Tour de Garde), mais je lui ai expliqué le déroulement de nos soirées, et même si elle m’a mis en garde sur de possible dérives extrêmes, elle a compris qu’il n’y avait aucun danger. Et pourtant elle était du genre à voir le Malin partout.
Ma femme ne joue pas, même si elle a été initiée et que ses lectures sont dans la majorité à thématique fantastique. Elle n’a aucune crainte pour moi et ma santé mentale.
Et mes enfants dans tout ça ? Encore un peu jeunes pour jouer, ils vivent dedans. Mon ainé adore parcourir les images de mes livres, même si on a essayé de repousser ce moment à cause la violence de certaines illustrations. Il adore les dragons et dispose d’une imagination fertile. Je n’ai jamais entrevu de quelconque déséquilibre mental lié à ma pratique du JDR, ou lié à l’ambiance dans laquelle il vit : poster de Lord of The Ring, ouvrages fantastiques, manuels de JDR, statuettes de fées… Je les éduque du mieux que je peux, comme tout père. A une petite différence, il y a des notions de fantastique dans cette éducation. Mais les valeurs morales, l’éthique, l’ouverture, la fraternité, la politesse, les choses de la vie, tout cela est traité, parfois plus et mieux que dans certains foyers de non rolistes. Au final je suis un père plutôt équilibré, contrairement à ce qu’on a pu lire sur nous. Et mes enfants vivent peut-être dans un monde un peu plus féérique, mais ils n’en garderont pas moins le sens des réalités. Ca n’est pas incompatible.
Et même si je leur laisserais le choix, je serais content s’ils pouvaient devenir eux-mêmes rolistes : il y a tant de bonnes choses à en tirer.

TumblrLinkedInShare

Nombres de réponses : 2, Wah la classe!

  1. Un texte inspirant, merci de nous le faire partager !

    Eldar

  2. Que dire de plus ? rien, tu as dis le principal. J’ai la même vision que toi du JDR et je partage en tout point ton avis sur le sujet. Bravo et, comme dit Eldar, merci de nous faire partager ton texte ! ;)

    Doucelune

Faire une remarque désobligeante :

Vous devez être connecté pour �crire un commentaire.